Platon : L’opinion est-elle un obstacle à la science ?

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SOCRATE : Si quelqu’un, connaissant la route qui conduit à Larisse, ou à tout autre lieu que tu veux, s’y rendait et y conduisait d’autres personnes, ne le ferait-il pas d’une façon qui soit juste et bonne ?

MENON : Oui, absolument.

SOCRATE : Mais qu’en serait-il de l’homme qui aurait une opinion correcte sur la route à prendre, sans pourtant être allé à Larisse ni connaître la route pour s’y rendre, cet homme-là, ne pourrait-il pas lui aussi être un bon guide ?

MÉNON : Oui, parfaitement.

SOCRATE : En tout cas, aussi longtemps qu’il a une opinion correcte sur la même chose dont l’autre a une connaissance, il ne sera pas un moins bon guide, lui qui a une opinion vraie, même si cette opinion est dépourvue de raison.

MÉNON : Non, en effet.

SOCRATE : Donc, une opinion vraie n’est pas un moins bon guide, pour la rectitude de l’action, que la raison. (…) L’opinion droite n’est donc en rien moins utile que la science.

MÉNON : A ceci près, Socrate, que l’homme qui possède la connaissance réussira toujours, tandis que celui qui a une opinion correcte, tantôt réussira, tantôt non.

SOCRATE : Que veux-tu dire ? L’homme qui a une opinion correcte, ne réussira-t-il pas tout le temps, aussi longtemps qu’il conçoit des opinions correctes ?

MÉNON : Cela me paraît nécessaire. Alors je m’étonne, Socrate, s’il en est ainsi, du fait que la connaissance ait beaucoup plus de valeur que l’opinion droite, et je me demande aussi pour quelle raison on les distingue l’une de l’autre ! (…)

SOCRATE : Car, vois-tu, les opinions vraies, aussi longtemps qu’elles demeurent en place, sont une belle chose et tous les ouvrages qu’elles produisent sont bons. Mais ces opinions ne consentent pas à rester longtemps en place, plutôt cherchent-elles à s’enfuir de l’âme humaine ; elles ne valent donc pas grand-chose tant qu’on ne les a pas reliées par un raisonnement qui en donne l’explication. (…) Mais dès que les opinions ont été ainsi reliées, d’abord elles deviennent des connaissances, et ensuite elles restent à leur place. Voilà précisément la raison pour laquelle la connaissance est plus précieuse que l’opinion droite, et sache que la science diffère de l’opinion vraie en ce que la connaissance est lien.

PLATON, Ménon, 97a-98a

Questions de compréhension :

  • Quels sont les deux guides comparés par Socrate dans ce texte ? Distinguez-les clairement.
  • Lequel des deux est le meilleur guide ? Justifiez.
  • Selon Platon, toutes les opinions sont-elles fausses ?

Bachelard : L’opinion est-elle un obstacle à la science ?

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La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion. S’il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion ; de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort. Continuer la lecture

Alain : Qui pense dans l’opinion ?

Chacun a pu remarquer, au sujet des opinions communes, que chacun les subit et que personne ne les forme. Un citoyen, même avisé et énergique quand il n’a à conduire que son propre destin, en vient naturellement et par une espèce de sagesse à rechercher quelle est l’opinion dominante au sujet des affaires publiques. “Car, se dit-il, comme je n’ai ni la prétention ni le pouvoir de gouverner à moi tout seul, il faut que je m’attende à être conduit; à faire ce qu’on fera, à penser ce qu’on pensera.” Remarquez que tous raisonnent de même, et de bonne foi. Chacun a bien peut-être une opinion ; mais c’est à peine s’il se la formule à lui-même ; il rougit à la seule pensée qu’il pourrait être seul de son avis.
Le voilà donc qui honnêtement écoute les orateurs, lit les journaux, enfin se met à la recherche de cet être fantastique que l’on appelle l’opinion publique. “La question n’est pas de savoir si je veux ou non faire la guerre.” Il interroge donc le pays. Et tous les citoyens interrogent le pays, au lieu de s’interroger eux-mêmes.
Les gouvernants font de même, et tout aussi naïvement. Car, sentant qu’ils ne peuvent rien tout seuls, ils veulent savoir où ce grand corps va les mener. Et il est vrai que ce grand corps regarde à son tour vers le gouvernement, afin de savoir ce qu’il faut penser et vouloir. Par ce jeu, il n’est point de folle conception qui ne puisse quelque jour s’imposer à tous, sans que personne pourtant l’ait jamais formée de lui-même et par libre réflexion. Bref, les pensées mènent tout, et personne ne pense. D’où il résulte qu’un État formé d’hommes raisonnables peut penser et agir comme un fou. Et ce mal vient originairement de ce que personne n’ose former son opinion par lui-même ni la maintenir énergiquement, en lui d’abord, et devant les autres aussi.

ALAIN, Mars ou la guerre jugée (1921), Chap. LXIX

L’hystérie a-t-elle une origine physique ou psychique ?

L’hystérie est une maladie qui est restée très énigmatique jusqu’à la fin du XIXe siècle. Le Docteur Charcot  a réalisé des expériences spectaculaires sur des patients hystériques en utilisant l’hypnose.

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Le film Freud de John Huston (1962) nous montre notamment une reconstitution de ces expériences :

  • Que prouve l’hypnose sur l’origine de l’hystérie ?
  • Quel est l’intérêt de ces expériences pour la guérison des patients ?

 

Aurais-je pu agir autrement ?

L’une des conditions de la liberté est le principe des possibilités alternatives : mon action est libre si dans la même situation initiale j’aurais également pu agir autrement.

Ce court-métrage d’animation réalisé par Vincent Bierrewaerts propose de visualiser ce que cela donnerait pour le même homme d’agir de plusieurs façons différentes :

  • Identifiez les différents parcours possibles. A quels moments divergent-ils ?
  • Y a-t-il des raisons qui expliquent les différents choix possibles au tout début ?
  • Cet individu vous semble-t-il réellement libre ?

Suis-je le mieux placé pour savoir qui je suis ?

MAGRITTE, La reproduction interdite (Portrait d’Edward James), 1937 Huile sur toile, 79 x 65,5 cm Rotterdam, Museum Boymans-van Beuningen

(1) La reproduction interdite…

a) Quelle est la fonction naturelle du miroir ?

b) Expliquez le titre de l’œuvre : La reproduction interdite. D’où émane l’interdiction ?

c) Imaginez une explication rationnelle pour rendre compte du phénomène observé.

d) En quoi Edward James est-il essentiellement différent des autres objets présents autour de lui dans la scène ? Qu’est-ce qui justifie cette différence de traitement ?

(2) …(Portrait d’Edward James)

a) Qu’est-ce qu’un « portrait » ?

b) Quelle partie du corps d’Edward James voyons-nous ?

Qu’a de particulier cette partie du corps ?

c) A qui Edward James ressemble-t-il ? Qui est représenté en réalité ?

d) Au total, combien de personnes sont actuellement en train de contempler ce qui se trouve devant elles ?

Que contemple chacune d’entre elles ?

(3) Interprétation d’ensemble

a) Imaginez une explication symbolique pour rendre compte de ce phénomène. (Qu’a voulu dire Magritte ?)

b) En quoi ce tableau retranscrit-il d’une certaine manière l’expérience ordinaire du miroir ?

c) En quoi s’agit-il effectivement d’un « portrait » ?

d) Ré-expliquez le titre de l’œuvre.

Clifford : Suis-je libre de croire tout ce qui me plaît ?

Un armateur était sur le point de faire prendre la mer à un bateau chargé d’émigrants. Il savait que ce navire était vieux, et, surtout, qu’il avait de nombreux défauts de construction. Pour ne rien arranger, le bateau avait déjà affronté plusieurs mers houleuses et maintes tempêtes et avait souvent nécessité des réparations. Plusieurs personnes lui avaient fait remarquer qu’il était hors d’état de naviguer. Ces doutes l’inquiétèrent et le mirent mal à l’aise ; il pensa même à le faire réparer et radouber, même si cela devait lui coûter très cher. Mais avant que le navire ne prenne la mer, il réussit à chasser ces sombres pensées, se disant qu’après tout son bateau était toujours revenu à bon port après avoir effectué un grand nombre de traversées et essuyé un nombre incalculable de tempêtes, et qu’il était stupide de penser qu’il ne rentrerait pas au port une fois de plus. Il n’y avait qu’à s’en remettre à la Providence, qui ne pourrait manquer de protéger toutes ces familles malheureuses qui quittaient leur patrie à la recherche de jours meilleurs. Il s’efforça d’écarter de son esprit tout soupçon quant à l’honnêteté des constructeurs et des entrepreneurs, et parvint ainsi à se rassurer et à se convaincre sincèrement que son vaisseau était absolument sûr et en état de naviguer. Il assista donc à son départ le coeur léger, en formulant de pieux souhaits pour le succès des exilés dans le pays lointain qui allait devenir leur patrie – et il encaissa le paiement de la compagnie d’assurances quand son bateau périt en pleine mer sans laisser de traces.

Que dire de cet armateur ? Sûrement qu’il était réellement coupable de la mort de ces personnes. Même si nous admettons qu’il croyait sincèrement à la solidité de son bateau, il reste que la sincérité de sa conviction ne peut en aucune façon le disculper, par qu’il n’avait pas le droit de fonder cette croyance sur les informations qu’il possédait. Il avait acquis cette conviction non pas sur la foi d’une investigation minutieuse, mais en étouffant ses doutes. Et même s’il avait fini par en être si sûr qu’il ne pouvait penser autrement, dans la mesure où il s’est consciemment et volontairement efforcé d’en venir à cet état d’esprit, il doit être tenu pour responsable de cet accident.

William K. CLIFFORD, “L’éthique de la croyance” (1877)

  • Même en étant sincère, l’armateur est-il responsable de l’accident ? Pourquoi ?
  • Expliquez pourquoi Clifford affirme que : “il n’avait pas le droit de fonder cette croyance sur les informations qu’il possédait
  • Appliquez l’argumentation de Clifford a la croyance religieuse : selon vous, le croyant a-t-il le droit de fonder sa croyance sur les informations qu’il possède ? La croyance religieuse peut-elle être considérée comme une croyance raisonnable ?

L’individu en groupe

Le groupe peut-il secourir l’individu ?

1) L’effet témoin (également appelé “effet spectateur”) a d’abord été identifié lors du meurtre dramatique de Kitty Genovese en 1964, à la suite duquel le New York Times titra : « Les 38 témoins du meurtre qui n’ont pas appelé la police ».

Extrait du reportage d’Envoyé Spécial “L’étoffe du héros” de juin 2015

2) L’expérience du bon samaritain propose de tester l’effet témoin en le combinant avec le critère du statut social : le groupe va-t-il tenir compte de l’apparence sociale de la victime avant de lui venir en aide ?

Pour approfondir :

  • Le film 38 témoins de Lucas Belvaux (2012) est librement inspiré de l’affaire Kitty Genovese.

Gustave Le Bon : La foule est-elle meilleure que l’individu ?

Les foules ne sauraient accomplir d’actes exigeant une intelligence élevée. Les décisions d’intérêt général prises par une assemblée d’hommes distingués, mais de spécialités différentes, ne sont pas sensiblement supérieures aux décisions que prendrait une réunion d’imbéciles. Ils peuvent seulement associer en effet ces qualités médiocres que tout le monde possède. Les foules accumulent non l’intelligence mais la médiocrité. (…)

La première [cause] est que l’individu en foule acquiert, par le fait seul du nombre, un sentiment de puissance invincible lui permettant de céder à des instincts, que, seul, il eût forcément refrénés. Il y cédera d’autant plus volontiers que, la foule étant anonyme, et par conséquent irresponsable, le sentiment de la responsabilité, qui retient toujours les individus, disparaît entièrement.

Une seconde cause, la contagion mentale, intervient également pour déterminer chez les foules la manifestation de caractères spéciaux et en même temps leur orientation. (…) Chez une foule, tout sentiment, tout acte est contagieux, et contagieux à ce point que l’individu sacrifie très facilement son intérêt personnel à l’intérêt collectif. C’est là une aptitude contraire à sa nature, et dont l’homme ne devient guère capable que lorsqu’il fait partie d’une foule. (…)

Donc, évanouissement de la personnalité consciente, prédominance de la personnalité inconsciente, orientation par voie de suggestion et de contagion des sentiments et des idées dans un même sens, tendance à transformer immédiatement en acte les idées suggérées, tels sont les principaux caractères de l’individu en foule. Il n’est plus lui-même, mais un automate que sa volonté est devenue impuissante à guider.

Par le fait seul qu’il fait partie d’une foule, l’homme descend donc plusieurs degrés sur l’échelle de la civilisation. Isolé, c’était peut-être un individu cultivé, en foule c’est un instinctif, par conséquent un barbare. Il a la spontanéité, la violence, la férocité, et aussi les enthousiasmes et les héroïsmes des êtres primitifs.

Gustave LE BON, Psychologie des foules (1895), I, 1, pp.148-150