[§35] Il y a d’ailleurs un autre principe (…) qui, ayant été donné à l’homme pour adoucir, en certaines circonstances, la férocité de son amour-propre, ou le désir de se conserver avant la naissance de cet amour, tempère l’ardeur qu’il a pour son bien-être par une répugnance innée à voir souffrir son semblable. (…) Je parle de la pitié, disposition convenable à des êtres aussi faibles, et sujets à autant de maux que nous le sommes ; vertu d’autant plus universelle et d’autant plus utile à l’homme qu’elle précède en lui l’usage de toute réflexion, et si naturelle que les bêtes mêmes en donnent quelquefois des signes sensibles. Sans parler de la tendresse des mères pour leurs petits, et des périls qu’elles bravent pour les en garantir, on observe tous les jours la répugnance qu’ont les chevaux à fouler aux pieds un corps vivant ; un animal ne passe point sans inquiétude auprès d’un animal mort de son espèce ; il y en a même qui leur donnent une sorte de sépulture ; et les tristes mugissements du bétail entrant dans une boucherie annoncent l’impression qu’il reçoit de l’horrible spectacle qui le frappe. (…)
Continuer la lectureArchives par mot-clé : morale
Lecture : Sartre, L’existentialisme est un humanisme (1945)
Texte en lecture suivie : SARTRE, L’existentialisme est un humanisme (1945), §§1-12
Escape game : l’égalité des chances est-elle une illusion ? (TS2, 2020)
Galerie
Voici un escape game sur l’égalité des chances créé par 3 élèves de TS2 en mai 2020 :
Platon : Vaut-il mieux commettre ou subir l’injustice ?
Socrate : J’ai dit que commettre l’injustice était pire que la subir.
Polos : Oui, parfaitement .
Socrate : Mais toi, tu dis qu’il est pire de la subir.
Polos : Oui. Continuer la lecture
Exercices de révisions sur liberté & morale (TL, 2020)
Voici quelques exercices de révision conçus par des élèves de TL en janvier 2020 afin de réviser les chapitres sur la liberté & la morale : Continuer la lecture
Exercices de révision sur la morale (2019)
Voici une série d’exercices de révision créés par les élèves de TESL & TES2 en février 2019 Continuer la lecture
Responsabilité & légitimité dans “The Imitation game” (CPES2 2018)
En décembre 2018, Clémence Lebouchard, étudiante en CPES2 à l’université PSL, a créé cet essai vidéo consacré à l’analyse philosophique du film “The Imitation Game”, sur responsabilité & légitimité. Continuer la lecture
Culpabilité morale dans “Amadeus” (CPES 2018)
En décembre 2018, Camille Berger, étudiant en CPES2 à l’université PSL, a créé cet essai vidéo consacré à l’analyse philosophique du film “Amadeus” de Forman, sur la culpabilité morale. Continuer la lecture
La morale et le devoir
Le support du cours :
Articles du site portant sur la morale
Textes :
- Kant : Ma conscience morale m’autorise-t-elle à faire tout ce que je veux ?
- Kant / Constant : Avons-nous toujours le devoir de dire la vérité ?
- Aristote : Sommes-nous responsables de notre vertu morale ?
- Williams : Dépend-il de moi d’être moral ?
Documents à l’appui du cours :
Travaux réalisés par les élèves :
Voir d’autres dossiers :
Exercices de révision :
Williams : Dépend-il de moi d’être moral ?
Citation
Il existe un courant de pensée philosophique qui assimile la finalité de la vie au bonheur, le bonheur à la sérénité consciente, et qui fait de la sérénité le produit de l’autosuffisance du moi : ce qui n’est pas du ressort du moi est hors de son contrôle et se trouve en conséquence soumis au hasard et aux forces contingentes qui mettent la sérénité en péril. (…) L’aptitude à se comporter en agent moral est censée se rencontrer en tout agent rationnel quel qu’il soit, en quiconque peut se poser la question de la vie morale. La vie morale réussie, hors de toute considération de naissance, d’éducation heureuse, ou à plus forte raison de cette grâce incompréhensible d’un Dieu non pélagien, est présentée comme une carrière ouverte non seulement aux talents, mais plus précisément au talent que tous les êtres rationnels possèdent au même degré. Une telle conception repose en dernière analyse sur une sorte de justice profonde, et c’est ce qui fait sa séduction. (…)
Si l’on voit les choses ainsi, toute conception d’un « hasard dans la morale » est radicalement incohérente. Le syntagme paraît, certes, étrange. Il en est ainsi parce que la conception kantienne incarne, sous une forme très pure, quelque chose qui est à la base de notre conception de la morale. Et pourtant, l’ambition qu’on peut avoir de garantir l’indépendance de la morale contre le hasard ne peut qu’être déçue. L’explication qui en est la plus familière et qui vient des discussions sur le libre arbitre est que les dispositions à la morale, aussi loin qu’elles soient placées en amont, du côté de la motivation et de l’intention, sont aussi conditionnées que le reste. (…)
Prenons, pour commencer, un exemple schématique, celui de l’artiste créateur qui tourne le dos aux exigences précises et pressantes que les hommes ont à son égard, afin de vivre une vie qui lui permette, pense-t-il, de se consacrer à son art. Sans nous sentir tenus par les faits historiques, donnons à ce créateur le nom de Gauguin. Gauguin était peut-être un homme qui ne s’intéressait pas du tout à ce qu’on attendait de lui, et qui avait simplement choisi de vivre une autre vie, et de cette autre vie, et peut-être de ce choix, sont nées ses plus belles toiles. (…)
Le fait qu’il réussisse ou non ne peut, eu égard à la nature du cas, se prévoir. Ici il ne s’agit pas de faire sauter un obstacle extérieur qui gênerait un processus : processus dont on pourrait raisonnablement prédire qu’il aboutira, une fois l’obstacle éliminé. Gauguin, dans notre fiction, mise beaucoup sur une éventualité qui ne s’est pas manifestée sans équivoque. Je veux examiner et défendre l’idée que dans un tel cas de figure, la seule chose qui justifiera son choix sera le succès lui-même. S’il échoue — et nous en viendrons dans un instant à ce que sera, plus précisément, l’échec —, il a fait le mauvais choix, non seulement dans le sens banal qui va de soi, mais encore en ce sens que, ayant fait le mauvais choix dans ces circonstances, il n’a rien qui lui permette de penser qu’il se trouve justifié d’avoir agi comme il a agi. S’il réussit, il a une raison de se trouver justifié. (…) La justification, s’il doit y en avoir une, sera essentiellement rétroactive. Gauguin n’était pas à même de faire ce qui serait considéré comme une composante essentielle de la rationalité et de la notion même de justification : à savoir être en mesure de faire appel aux considérations de justification au moment du choix et avant de savoir si on aura eu raison (au sens où les choses auront bien tourné). (…)
Une part de hasard, dans une décision comme celle de Gauguin, affecte le projet de l’extérieur ; une part est intrinsèque; les deux sont indispensables au succès, et donc à la justification effective, mais seule la seconde part de hasard entraîne absence de justification. Si maintenant nous ouvrons quelque peu l’éventail des cas, nous serons en mesure de comprendre plus clairement la notion de hasard intrinsèque. Dans le cas de Gauguin, la nature du projet est telle que deux distinctions, en gros, se superposent. L’une est la distinction entre le hasard intrinsèque et le hasard extrinsèque; l’autre est la distinction entre ce qui est déterminé par l’homme – et ce qu’il est – et ce qui ne l’est pas. Le hasard intrinsèque, dans le cas de Gauguin, se résume pratiquement à la question de savoir s’il est bien un peintre authentiquement doué qui peut réussir à produire une peinture d’une qualité authentique. Toutes les conditions qui sont nécessaires à la réalisation du projet ne dépendent pas de lui, évidemment, puisque nombre des conditions nécessaires à la réalisation du projet sont tributaires des autres, qu’ils interviennent ou qu’ils s’abstiennent d’intervenir.
Bernard WILLIAMS, La fortune morale (1976)