L’homme est un être physique ; de quelque façon qu’on le considère il est lié à la nature universelle, et soumis aux lois nécessaires et immuables qu’elle impose à tous les êtres qu’elle renferme, d’après l’essence particulière ou les propriétés qu’elle leur donne, sans les consulter. Notre vie est une ligne que la nature nous ordonne de décrire à la surface de la terre sans jamais pouvoir nous en écarter un instant. Nous naissons sans notre aveu, notre organisation ne dépend point de nous, nos idées nous viennent involontairement, nos habitudes sont au pouvoir de ceux qui nous les font contracter, nous sommes sans cesse modifiés par des causes soit visibles soit cachées qui règlent nécessairement notre façon d’être, de penser et d’agir. (…)
En conséquence nous agissons nécessairement, notre action est une suite de l’impulsion que nous avons reçue de ce motif, de cet objet ou de cette idée, qui ont modifié notre cerveau ou disposé notre volonté ; lorsque nous n’agissons point c’est qu’il survient quelque nouvelle cause, quelque nouveau motif, quelque nouvelle idée qui modifie notre cerveau d’une manière différente, qui lui donne une nouvelle impulsion, une nouvelle volonté, d’après laquelle ou elle agit, ou son action est suspendue. (…)
Lorsque tourmenté d’une soif ardente, je me figure en idée ou j’aperçois réellement une fontaine dont les eaux pures pourraient me désaltérer, suis-je maître de désirer ou de ne point désirer l’objet qui peut satisfaire un besoin si vif dans l’état où je suis ? On conviendra, sans doute, qu’il m’est impossible de ne point vouloir le satisfaire ; mais l’on me dira que si l’on m’annonce en ce moment que l’eau que je désire est empoisonnée, malgré ma soif je ne laisserai pas de m’en abstenir, et l’on en conclura faussement que je suis libre. En effet de même que la soif me déterminait nécessairement à boire avant que de savoir que cette eau fût empoisonnée, de même cette nouvelle découverte me détermine nécessairement à ne pas boire ; alors le désir de me conserver anéantit ou suspend l’impulsion primitive que la soif donnait à ma volonté ; ce second motif devient plus fort que le premier, la crainte de la mort l’emporte nécessairement sur la sensation pénible que la soif me faisait éprouver. Mais, direz-vous, si la soif est bien ardente, sans avoir égard au danger, un imprudent pourra risquer de boire cette eau ; dans ce cas la première impulsion reprendra le dessus et le fera agir nécessairement, vu qu’elle se trouvera plus forte que la seconde. Cependant dans l’un et l’autre cas, soit que l’on boive de cette eau soit qu’on n’en boive pas, ces deux actions seront également nécessaires, elles seront des effets du motif qui se trouvera le plus puissant et qui agira le plus fortement sur la volonté. (…)Le choix ne prouve aucunement la liberté de l’homme ; il ne délibère que lorsqu’il ne sait encore lequel choisir entre plusieurs objets qui le remuent ; il est alors dans un embarras qui ne finit que lorsque sa volonté est décidée par l’idée de l’avantage plus grand qu’il croit trouver dans l’objet qu’il choisit ou dans l’action qu’il entreprend. D’où l’on voit que son choix est nécessaire, vu qu’il ne se déterminerait point pour un objet ou pour une action s’il ne croyait y trouver quelque avantage pour lui. Pour que l’homme pût agir librement, il faudrait qu’il pût vouloir ou choisir sans motifs ou qu’il pût empêcher les motifs d’agir sur sa volonté. L’action étant toujours un effet de la volonté une fois déterminée, et la volonté ne pouvant être déterminée que par le motif qui n’est point en notre pouvoir, il s’ensuit que nous ne sommes jamais les maîtres des déterminations de notre volonté propre, et que par conséquent jamais nous n’agissons librement.
D’HOLBACH, Système de la nature (1770), chap. 11