Bioéthique & transgenèse dans “La piel que habito” (CPES2 2018)

En décembre 2018, Elise Adjerad, étudiante en CPES2 à l’université PSL, a créé cet essai vidéo consacré à l’analyse philosophique du film “La piel que habito” d’Almodovar, sur la transgenèse et la bioéthique. Continuer la lecture

Parfit : Peut-on se téléporter en restant soi-même ?

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Supposez que vous entriez dans une cabine dans laquelle, quand vous appuyez sur un bouton, un scanner enregistre l’état de toutes les cellules de votre cerveau et de votre corps, en détruisant ces derniers par la même occasion. Cette information est ensuite transmise à la vitesse de la lumière à quelque autre planète, sur laquelle un duplicateur produit une copie organique parfaite de vous-même. Puisque le cerveau de votre Réplique est exactement similaire au vôtre, il aura l’impression de se souvenir d’avoir vécu votre vie jusqu’au moment où vous avez appuyé sur le bouton ; sa personnalité sera exactement comme la vôtre, et il sera sous chaque autre aspect en continuité psychologique avec vous.

Plusieurs auteurs prétendent que si vous choisissez d’être télétransportés, parce que vous pensez que c’est le mode de transport le plus rapide, vous faites une terrible erreur. Ce n’est pas un mode de transport, mais une façon de mourir. Vous pouvez vous consoler à la perspective qu’après votre mort, votre Réplique pourra finir le livre que vous êtes en train d’écrire, jouer le rôle de parent pour vos enfants, etc. Mais […] vous ne voulez pas seulement qu’il y ait une continuité psychologique entre vous et quelque personne future. Vous voulez être cette personne future. Selon la théorie du Faisceau, un tel fait additionnel n’existe pas. Vous voulez que la personne sur Mars soit vous en un sens particulièrement intime, mais aucune personne future ne sera jamais vous en ce sens. Il s’ensuit que du point de vue de vos croyances naturelles, même la survie ordinaire est presque aussi terrible que la télétransportation. La survie ordinaire est à peu près aussi terrible que le fait d’être détruit et d’avoir une Réplique.

Derek PARFIT, Les esprits divisés et la nature des personnes (1987)

Questions :

  • Qu’est-ce qui est transmis exactement entre le scanner et le duplicateur ?
  • Si l’on suppose que le Moi est une substance permanente, est-il conservé à l’autre bout du téléporteur ?
  • Si l’on suppose que le Moi est une construction psychologique, est-il conservé à l’autre bout du téléporteur ?
  • Que nous apprend cette expérience hypothétique sur la façon dont nous nous représentons le Moi ?

Hume : Peut-on percevoir le Moi ?

Il y a certains philosophes qui imaginent que nous avons à tout moment la conscience intime de ce que nous appelons notre moi ; que nous sentons son existence et sa continuité d’existence ; et que nous sommes certains, par une évidence plus claire que celle de la démonstration, de son identité et de sa simplicité parfaites. Pour ma part, quand je pénètre le plus intimement dans ce que j’appelle moi, je bute toujours sur une perception particulière ou sur une autre, de chaud ou de froid, de lumière ou d’ombre, d’amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. A aucun moment je ne puis me saisir, moi, sans saisir une perception, ni ne puis observer autre chose que la perception. Quand mes perceptions sont écartées pour un temps, comme par un profond sommeil, aussi longtemps, je n’ai plus conscience de moi et on peut dire vraiment que je n’existe pas. Si toutes mes perceptions étaient supprimées par la mort et que je ne puisse ni penser ni sentir, ni voir, ni aimer, ni haïr après la dissolution de mon corps, je serais entièrement annihilé et je ne conçois pas ce qu’il faudrait de plus pour faire de moi un parfait néant. (…)

[Les hommes] ne sont rien qu’un faisceau ou une collection de perceptions différentes qui se succèdent les unes aux autres avec une inconcevable rapidité et qui sont dans un flux et un mouvement perpétuels. L’esprit est une sorte de théâtre où diverses perceptions font successivement leur apparition ; elles passent, repassent, se perdent et se mêlent en une variété infinie de positions et de situations. Il n’y a à proprement parler en lui ni simplicité à un moment, ni identité dans des moments différents, quelque tendance naturelle que nous puissions avoir à imaginer cette simplicité et cette identité.

David HUME, Traité de la nature humaine (1739), I, IV, 6

Questions :

  • Reformulez la thèse que Hume veut discuter.
  • Qu’est-ce qui n’est jamais perceptible selon lui ? Pourquoi ?
  • Expliquez l’analogie qui conclut le texte.

Pascal : Qu’est-ce que le moi ?

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688. – Qu’est-ce que le moi ?

Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants ; si je passe par là, puis-je dire qu’il s’est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non ; car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus.

Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on ? moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps, ni dans l’âme ? et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables ? car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.

PASCAL, Pensées (1670), pensée 688