Argumentations construites en cours (vous pouvez commenter les arguments) :
Archives de l’auteur : Guillaume Lequien
Kant : Ma conscience morale m’autorise-t-elle à faire tout ce que je veux ?
Kant / Constant : Avons-nous toujours le devoir de dire la vérité ?
Le principe moral, par exemple, que dire la vérité est un devoir, s’il était pris d’une manière absolue et isolée, rendrait toute société impossible. Nous en avons la preuve dans les conséquences très directes qu’a tirées de ce principe un philosophe allemand, qui va jusqu’à prétendre qu’envers des assassins qui vous demanderaient si votre ami qu’ils poursuivent n’est pas réfugié dans votre maison, le mensonge serait un crime. (…)
Je prends pour exemple le principe moral que je viens de citer, que dire la vérité est un devoir. Ce principe isolé est inapplicable. Il détruirait la société. Mais, si vous le rejetez, la société n’en sera pas moins détruite, car toutes les bases de la morale seront renversées. Il faut donc chercher le moyen d’application, et pour cet effet, il faut, comme nous venons de le dire, définir le principe. Dire la vérité est un devoir. Qu’est-ce qu’un devoir? L’idée de devoir est inséparable de celle de droits : un devoir est ce qui, dans un être, correspond aux droits d’un autre. Là où il n’y a pas de droits, il n’y a pas de devoirs. Dire la vérité n’est donc un devoir qu’envers ceux qui ont droit à la vérité. Or nul homme n’a droit à la vérité qui nuit à autrui.
Voilà, ce me semble, le principe devenu applicable. En le définissant, nous avons découvert le lien qui l’unissait à un autre principe, et la réunion de ces deux principes nous a fourni la solution de la difficulté qui nous arrêtait.
Benjamin CONSTANT, Des réactions politiques (1796), VIII
La véracité dans les déclarations que l’on ne peut éviter est le devoir formel de l’homme envers chacun, quelque grave inconvénient qu’il puisse en résulter pour lui ou pour un autre ; et quoique, en y en altérant la vérité, je ne commette pas d’injustice envers celui qui me force injustement à les faire, j’en commets cependant une en général dans la plus importante partie du devoir par une semblable altération, et dès lors celle-ci mérite bien le nom de mensonge. En effet, je fais en sorte, autant qu’il est en moi, que les déclarations ne trouvent en général aucune créance, et que par conséquent aussi tous les droits, qui sont fondés sur des contrats, s’évanouissent et perdent leur force, ce qui est une injustice faite à l’humanité en général.
Le mensonge bien intentionné, dont il est ici question, peut d’ailleurs, par un effet du hasard, devenir punissable aux yeux des lois civiles. Avez-vous arrêté par un mensonge quelqu’un qui méditait alors un meurtre, vous êtes juridiquement responsable de toutes les conséquences qui pourraient en résulter ; mais êtes-vous resté dans la stricte vérité, la justice publique ne saurait s’en prendre à vous, quelles que puissent être les conséquences imprévues qui en résultent. Il est possible qu’après avoir loyalement répondu oui au meurtrier qui vous demandait si son ennemi était dans la maison, que celui-ci en sorte inaperçu et échappe ainsi aux mains de l’assassin, de telle sorte que le crime n’ait pas lieu ; mais, si vous avez menti en disant qu’il n’était pas à la maison et qu’étant réellement sorti (à votre insu), il soit rencontré par le meurtrier, qui commette son crime sur lui, alors vous pouvez être justement accusé d’avoir causé sa mort. En effet, si vous aviez dit la vérité, comme vous la saviez, peut-être le meurtrier, en cherchant son ennemi dans la maison, eût-il été saisi par des voisins accourus à temps, et le crime n’aurait-il pas eu lieu. Celui donc qui ment, quelque généreuse que puisse être son intention, doit, même devant le tribunal civil, encourir la responsabilité de son mensonge et porter la peine des conséquences, si imprévues qu’elles puissent être. C’est que la véracité est un devoir qui doit être regardé comme la base de tous les devoirs fondés sur un contrat, et que, si l’on admet la moindre exception dans la loi de ces devoirs, on la rend chancelante et inutile.
KANT, “D’un prétendu droit de mentir par humanité” (1797)
Kant : Mentir, est-ce porter atteinte aux autres ou à soi-même ?
Thoreau : Devons-nous obéir aux lois injustes ?
Il existe des lois injustes : devons-nous simplement nous contenter de leur obéir, devons-nous nous efforcer de les amender (1) tout en continuant à leur obéir jusqu’à l’accomplissement de nos projets, ou bien encore devons-nous immédiatement les transgresser ? En règle générale, les hommes qui vivent sous un tel gouvernement estiment qu’il convient d’attendre jusqu’à ce qu’ils aient réussi à persuader la majorité de modifier les lois. Ils pensent que s’ils faisaient acte de résistance, le remède pourrait être pire que le mal. […]
Tant qu’elle se conforme à la majorité, la minorité est impuissante et n’est même plus elle-même. En revanche, elle est irrésistible quand elle met toute sa force à faire de l’obstruction (2). S’il doit choisir entre emprisonner tous les hommes de bien ou mettre un terme à la guerre et à l’esclavage, l’Etat n’hésitera pas longtemps devant une telle alternative. Si mille citoyens décidaient de ne pas payer leurs impôts cette année, ils ne commettraient pas là une action aussi violente et sanglante que celle dont ils se rendent coupables en versant leur contribution pour permettre à l’État de faire acte de violence et de répandre le sang innocent. Telle est, en fait, la définition d’une révolution pacifique. […]
Si le collecteur d’impôts ou tout autre fonctionnaire vient me demander : « Mais que dois-je donc faire ? », je lui répondrai : « Si vous souhaitez réellement faire quelque chose, alors démissionnez. » Lorsque le sujet a refusé son allégeance et que les fonctionnaires ont démissionné, la révolution est accomplie.
Henry David Thoreau, Résistance au gouvernement civil (1849)
(1) amender : modifier en vue d’améliorer
(2) obstruction : manœuvre destinée à empêcher ou à retarder
Arendt : Toute désobéissance à la loi est-elle criminelle ?
Des actes de désobéissance civile interviennent lorsqu’un certain nombre de citoyens ont acquis la conviction que les mécanismes normaux de l’évolution ne fonctionnent plus ou que leurs réclamations ne sont pas entendues ou ne seront suivies d’aucun effet — ou encore, tout au contraire, lorsqu’ils croient possible de faire changer d’attitude un gouvernement qui s’est engagé dans une action dont la légalité et la constitutionnalité sont gravement mises en doute. […]
Il existe une différence essentielle entre le criminel qui prend soin de dissimuler à tous les regards ses actes répréhensibles et celui qui fait acte de désobéissance civile en défiant les autorités et s’institue lui-même porteur d’un autre droit. […]
Le délinquant de droit commun, même s’il appartient à une organisation criminelle, agit uniquement dans son propre intérêt ; il refuse de s’incliner devant la volonté du groupe, et ne cédera qu’à la violence des services chargés d’imposer le respect de la loi. Celui qui fait acte de désobéissance civile, tout en étant généralement en désaccord avec une majorité, agit au nom et en faveur d’un groupe particulier. Il lance un défi aux lois et à l’autorité établie à partir d’un désaccord fondamental, et non parce qu’il entend personnellement bénéficier d’un passe-droit.
Hannah Arendt, La Désobéissance civile (1972).
La morale utilitariste
La morale déontologique
L’éthique des vertus
Peut-on imaginer une esthétique des vertus ?
Antigone : Faut-il toujours obéir à la loi des hommes ?
Créon — Et toi, toi qui restes là, tête basse, avoues-tu ou nies-tu le fait ?
Antigone — Je l’avoue et n’ai garde, certes, de le nier.
Créon (au Garde) — Vas donc où tu voudras, libéré d’une lourde charge. (Le Garde sort. À Antigone.) Et toi, maintenant, réponds-moi, sans phrases, d’un mot. Connaissais-tu la défense que j’avais fait proclamer ?
Antigone — Oui, je la connaissais : pouvais-je l’ignorer ? Elle était des plus claires.
Créon — Ainsi tu as osé passer outre à ma loi ?
Antigone — Oui, car ce n’est pas Zeus qui l’avait proclamée ! Ce n’est pas la Justice, assise à côté des dieux infernaux ; non, ce ne sont pas là les lois qu’ils ont jamais fixées aux hommes, et je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel de passer outre à de telles lois, aux lois non écrites, inébranlables, des dieux ! Elles ne datent, celles-là, ni d’aujourd’hui ni d’hier, et nul ne sait le jour où elles ont paru. Ces lois-là, pouvais-je donc, par crainte de qui que ce fût, m’exposer à leur vengeance chez les dieux ? Que je dusse mourir, ne le savais-je pas ? et cela, quand bien même tu n’aurais rien défendu. Mais mourir avant l’heure, je le dis bien haut, pour moi, c’est tout profit : lorsqu’on vit comme moi, au milieu des malheurs sans nombre, comment ne pas trouver de profit à mourir ? Subir la mort, pour moi, ce n’est pas une souffrance. C’en eût été une, au contraire, si j’avais toléré que le corps d’un fils de ma mère n’eût pas, après sa mort, obtenu un tombeau. De cela, oui, j’eusse souffert ; de ceci je ne souffre pas. Je te parais sans doute agir comme une folle. Mais le fou pourrait bien être celui même qui me traite de folle.
Le Coryphee — Ah ! qu’elle est bien, sa fille ! la fille intraitable d’un père intraitable. Elle n’a jamais appris à céder aux coups du sort.
SOPHOCLE, Antigone, traduit du grec ancien par Mazon.