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Leibniz : D’autres mondes auraient-ils pu être possibles ?
Vous voyez ici le palais des destinées dont j’ai la garde. Il y a des représentations, non seulement de ce qui arrive, mais encore de tout ce qui est possible ; et Jupiter en ayant fait la revue avant le commencement du monde existant, a digéré les possibilités en mondes, et a fait le choix du meilleur de tous. Je n’ai qu’à parler, et nous allons voir tout un monde que mon père pouvait produire. (…) Je vous en montrerai où se trouvera, non pas tout à fait le même Sextus que vous avez vu, cela ne se peut, mais des Sextus approchants, qui auront tout ce que vous connaissez du véritable Sextus, mais non pas tout ce qui est déjà en lui, ni par conséquent tout ce qui lui arrivera encore. Vous trouverez dans un monde un Sextus fort heureux et élevé, dans un autre un Sextus content de son état médiocre, des Sextus de toute espèce et d’une infinité de façons.
Là-dessus la déesse mena Théodore dans un des appartements : quand il y fut, ce n’était plus un appartement, c’était un monde. Par l’ordre de Pallas, on vit paraître Dodone avec le temple de Jupiter, et Sextus qui en sortait : on l’entendait dire qu’il obéirait au dieu. Le voilà qui va à une ville placée entre deux mers, semblable à Corinthe. Il y achète un petit jardin ; en le cultivant il trouve un trésor ; il devient un homme riche, aimé, considéré ; il meurt dans une grande vieillesse, chéri de toute la ville. (….) On passa dans un autre appartement, et voilà un autre monde, un autre livre, un autre Sextus, qui, sortant du temple, et résolu d’obéir à Jupiter, va en Thrace. Il y épouse la fille du roi, qui n’avait point d’autres enfants, et lui succède. Il est adoré de ses sujets. On allait en d’autres chambres, on voyait toujours de nouvelles chambres.
Les appartements allaient en pyramide ; ils devenaient toujours plus beaux à mesure qu’on montait vers la pointe, et ils représentaient de plus beaux mondes. On vint enfin dans le suprême qui terminait la pyramide et qui était le plus beau de tous. Nous sommes dans le vrai monde actuel, dit la déesse, et vous y êtes à la source du bonheur. Voilà ce que Jupiter vous prépare, si vous continuez de le servir fidèlement. Voici Sextus tel qu’il est et tel qu’il sera actuellement. Il sort du temple tout en colère, il méprise le conseil des dieux. Vous le voyez allant à Rome, mettant tout en désordre, violant la femme de son ami. Le voilà chassé avec son père, battu, malheureux. Si Jupiter avait pris ici un Sextus heureux à Corinthe, ou roi en Thrace, ce ne serait plus ce monde. Et cependant il ne pouvait manquer de choisir ce monde, qui surpasse en perfection tous les autres, qui fait la pointe de la pyramide : le crime de Sextus sert à de grandes choses ; il en naîtra un grand empire qui donnera de grands exemples. Mais cela n’est rien au prix du total de ce monde, dont vous admirerez la beauté, lorsqu’après un heureux passage de cet état mortel à un autre meilleur, les dieux vous auront rendu capable de la connaître.
LEIBNIZ, Essais de théodicée (1710), III, §§414-416
3) Les mondes possibles
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2) le monde existe-t-il ?
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1) vérité & fiction
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Parfit : Peut-on se téléporter en restant soi-même ?
Supposez que vous entriez dans une cabine dans laquelle, quand vous appuyez sur un bouton, un scanner enregistre l’état de toutes les cellules de votre cerveau et de votre corps, en détruisant ces derniers par la même occasion. Cette information est ensuite transmise à la vitesse de la lumière à quelque autre planète, sur laquelle un duplicateur produit une copie organique parfaite de vous-même. Puisque le cerveau de votre Réplique est exactement similaire au vôtre, il aura l’impression de se souvenir d’avoir vécu votre vie jusqu’au moment où vous avez appuyé sur le bouton ; sa personnalité sera exactement comme la vôtre, et il sera sous chaque autre aspect en continuité psychologique avec vous.
Plusieurs auteurs prétendent que si vous choisissez d’être télétransportés, parce que vous pensez que c’est le mode de transport le plus rapide, vous faites une terrible erreur. Ce n’est pas un mode de transport, mais une façon de mourir. Vous pouvez vous consoler à la perspective qu’après votre mort, votre Réplique pourra finir le livre que vous êtes en train d’écrire, jouer le rôle de parent pour vos enfants, etc. Mais […] vous ne voulez pas seulement qu’il y ait une continuité psychologique entre vous et quelque personne future. Vous voulez être cette personne future. Selon la théorie du Faisceau, un tel fait additionnel n’existe pas. Vous voulez que la personne sur Mars soit vous en un sens particulièrement intime, mais aucune personne future ne sera jamais vous en ce sens. Il s’ensuit que du point de vue de vos croyances naturelles, même la survie ordinaire est presque aussi terrible que la télétransportation. La survie ordinaire est à peu près aussi terrible que le fait d’être détruit et d’avoir une Réplique.
Derek PARFIT, Les esprits divisés et la nature des personnes (1987)
Questions :
- Qu’est-ce qui est transmis exactement entre le scanner et le duplicateur ?
- Si l’on suppose que le Moi est une substance permanente, est-il conservé à l’autre bout du téléporteur ?
- Si l’on suppose que le Moi est une construction psychologique, est-il conservé à l’autre bout du téléporteur ?
- Que nous apprend cette expérience hypothétique sur la façon dont nous nous représentons le Moi ?
https://youtu.be/pdxucpPq6Lc