Kant : Faut-il avoir connaissance de notre ignorance ?

L’ignorance peut-être ou bien savante, scientifique, ou bien vulgaire. Celui qui voit distinctement les limites de la connaissance, par conséquent le champ de l’ignorance, à partir d’où il commence à s’étendre, par exemple le philosophe qui aperçoit et montre à quoi se limite notre capacité de savoir relatif à la structure de l’or, faute de données requises à cet effet, est ignorant de façon technique ou savante. Au contraire, celui qui est ignorant sans apercevoir les raisons des limites de l’ignorance et sans s’en inquiéter est ignorant de façon non savante. Un tel homme ne sait même pas qu’il ne sait rien. Car il est impossible d’avoir la représentation de son ignorance autrement que par la science ; tout comme un aveugle ne peut se représenter l’obscurité avant d’avoir recouvré la vue. Ainsi la connaissance de notre ignorance suppose que nous ayons la science et du même coup nous rend modeste, alors qu’au contraire s’imaginer savoir gonfle la vanité.

KANT, Logique (1800), p. 48

Questions :

  • Pourquoi le philosophe est-il ici qualifié d’ “ignorant” ?
  • En quoi l’ignorance non savante n’a-t-elle rien d’enviable ?
  • D’après Kant, de quelle ignorance faut-il sortir ?

Aristote : Le bonheur se trouve-t-il dans l’action ou dans la connaissance ?

(Note : Aristote distingue 3 types de vie : la vie contemplative (“théorétique”) dédiée à la connaissance, la vie poétique dédiée à la création, et la vie pratique dédiée à l’action. Dans l’Ethique à Nicomaque, il se demande quelle vie est préférable pour trouver le bonheur.)


Mais si le bonheur est une activité conforme à la vertu, il est rationnel qu’il soit activité conforme à la plus haute vertu et celle-ci sera la vertu de la partie la plus noble de nous-mêmes. (…) Or que cette activité soit théorétique, c’est ce que nous avons dit.

(…) En effet, en premier lieu, cette activité est la plus haute, puisque l’intellect est la meilleure partie de nous-mêmes et qu’aussi les objets sur lesquels porte l’intellect sont les plus hauts de tous les objets connaissables Ensuite elle est la plus continue car nous sommes capables de nous livrer à la contemplation d’une manière plus continue qu’en accomplissant n’importe quelle action. Nous pensons encore que du plaisir doit être mélangé au bonheur ; or l’activité selon la sagesse est, tout le monde le reconnaît, la plus plaisante des activités conformes à la vertu ; de toute façon, on admet que la philosophie renferme de merveilleux plaisirs sous le rapport de la pureté et de la stabilité, et il est normal que la joie de connaître soit une occupation plus agréable que la poursuite du savoir. De plus, ce qu’on appelle la pleine suffisance appartiendra au plus haut point à l’activité de contemplation car s’il est vrai qu’un homme sage, un homme juste, ou tout autre possédant une autre vertu, ont besoin des choses nécessaires à la vie, cependant, une fois suffisamment pourvu des biens de ce genre, tandis que l’homme juste a encore besoin de ses semblables (…), l’homme sage, au contraire, fût-il laissé à lui-même, garde la capacité de contempler, et il est même d’autant plus sage qu’il contemple dans cet état davantage. Sans doute est-il préférable pour lui d’avoir des collaborateurs mais il n’en est pas moins l’homme qui se suffit le plus pleinement à lui-même. Et cette activité paraîtra la seule à être aimée pour elle-même : elle ne produit, en effet, rien en dehors de l’acte même de contempler, alors que des activités pratiques nous retirons un avantage plus ou moins considérable à part de l’action elle-même. De plus, le bonheur semble consister dans le loisir car nous ne nous adonnons à une vie active qu’en vue d’atteindre le loisir, et ne faisons la guerre qu’afin de vivre en paix.

ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, 1177ab

Questions :

  • Entre la vie pratique et la vie contemplative, laquelle des 2 est la plus propice au véritable bonheur selon Aristote ?
  • Reproduisez le tableau suivant et reformulez les 7 arguments utilisés par Aristote pour opposer ces 2 types de vie :

vie pratique

vie contemplative

1)

2)

3)

4)

5)

6)

7)

  • La thèse d’Aristote est-elle satisfaisante ? Proposez une objection.

Nietzsche : Faut-il connaître la vérité pour vivre ?

Nous ne voyons pas dans la fausseté d’un jugement une objection contre ce jugement ; c’est là, peut-être, que notre nouveau langage paraîtra le plus déroutant. La question est de savoir dans quelle mesure un jugement est apte à promouvoir la vie, à la conserver, à conserver l’espèce, voire à l’améliorer, et nous sommes enclins à poser en principe que les jugements les plus faux (et parmi eux les jugements synthétiques a priori*) sont les plus indispensables à notre espèce, que l’homme ne pourrait pas vivre sans se rallier aux fictions de la logique, sans rapporter la réalité au monde purement imaginaire de l’absolu et de l’identique, sans fausser continuellement le monde en y introduisant le nombre. Car renoncer aux jugements faux serait renoncer à la vie même, équivaudrait à nier la vie. Reconnaître la non-vérité comme la condition de la vie, voilà certes une dangereuse façon de s’opposer au sens des valeurs qui a généralement cours, et une philosophie qui prend ce risque se situe déjà, du même coup, par-delà bien et mal.
NIETZSCHE, Par-delà le bien et le mal (1886), § 4
* “Jugements synthétiques a priori” : types de connaissances (scientifiques) que nous sommes capables d’établir, selon Kant, sans faire appel à l’expérience.
Questions :
  • Selon le début du texte, quelles sont les 2 manières d’évaluer une connaissance ? Laquelle est préférable selon Nietzsche ?
  • Donnez un exemple de ces connaissances fausses qui, selon Nietzsche, “sont les plus indispensables à notre espèce”.
  • Nietzsche soutient ici une thèse nihiliste sur la connaissance : cherchez la signification de ce mot, et expliquez en quoi cette thèse est particulièrement paradoxale.

Exercice : Identifier des sophismes

Exercice en ligne :

Voici une liste d’arguments et de noms de sophismes. Reliez chaque sophisme à son nom.
Cliquez sur l’image pour faire l’exercice en ligne !

Exercice en ligne

 

Pour aller plus loin :

  • Autre exercice : l’analyse d’un documentaire sur l’homéopathie

Vous trouverez sur cette page des extraits d’un documentaire où il faut retrouver différents sophismes utilisés.

  • Test en ligne : identifiez les sophismes !

Ce test est plus approfondi, et comporte encore d’autres sophismes.

Qui apprend ? Ceux qui savent ou ceux qui ignorent ?

Note : Dans ce texte, Euthydème et Dionysodore sont deux sophistes qui se vantent de pouvoir montrer, à volonté, une thèse et son contraire ; ils s’attaquent ici au jeune Clinias.

Euthydème commença à peu près comme cela :

— Clinias, de deux choses l’une, quels sont les hommes qui apprennent : les savants ou les ignorants ?

L’adolescent, devant une question aussi considérable, se mit à rougir, ne sachant que dire. Pendant ce temps, Dionysodore se pencha un peu vers moi, et le visage fort souriant, dit à mon oreille :

— Tu sais, Socrate, je te préviens : que le garçon réponde une chose ou l’autre, il sera réfuté.

Pendant qu’il me disait cela, Clinias répondit que ce sont les savants qui apprennent.

Alors, Euthydème reprit :

— Il y a des gens que tu appelles « enseignants », n’est-ce pas ?

Clinias fut d’accord.

— Or les enseignants, n’enseignent-ils pas à ceux qui apprennent ? comme le maître de musique et le maître d’école vous ont sans doute donné un enseignement, à toi et aux autres enfants, tandis que vous appreniez avec eux ?

Il approuva.

— Que se passait-il alors ? lorsque vous appreniez, vous ne connaissiez pas encore ce que vous appreniez, n’est-ce pas ? Alors, quand vous ne connaissiez pas cela, étiez-vous savants ?

— Non, certes pas, répondit-il.

— Ainsi, n’ayant rien appris, vous n’étiez pas savants ; donc vous appreniez ce que vous ne connaissiez pas : n’ayant rien appris, vous appreniez. Ce sont donc ceux qui n’ont rien appris qui apprennent, Clinias, et non pas ceux qui savent comme tu te le figures.

Dès qu’il eut prononcé ces mots, ceux qui formaient la suite de Dionysodore et d’Euthydème se mirent à applaudir et à rire.

Avant que l’adolescent eût bel et bien repris son souffle, Dionysodore rattrapa la balle :

— Qu’est-ce que cela veut dire, Clinias ? Chaque fois que le maître d’école vous faisait une dictée, quels étaient les enfants qui apprenaient, ceux qui savaient ou ceux qui n’apprenaient rien ?

— Ceux qui savaient, répondit Clinias.

— Ce sont donc les savants qui apprennent, Clinias, et non pas ceux qui n’apprennent rien. Quant à toi, à l’instant, tu n’as pas bien répondu à Euthydème.

Alors, à ce moment-là, les amoureux des deux hommes, qui chérissaient leur savoir, se mirent à rire très fort et à applaudir.

Or Euthydème, pour nous étonner encore davantage, ne lâchait pas le garçon, mais lui demanda :

— Parce que les gens qui apprennent apprennent-ils ce qu’ils connaissent ou ce qu’ils ne connaissent pas ?

Clinias répondit à Euthydème que ceux qui apprennent apprennent ce qu’ils ne connaissent pas. Et l’autre lui demanda, en usant du même exemple :

— Qu’est-ce à dire ? tu ne connais pas tes lettres ?

— Si, répondit-il.

— Donc, quand on te fait une dictée, ne sont-ce pas des lettres qu’on te dicte ? Ce qu’on te dicte, n’est-ce pas alors quelque chose de ce que tu connais, s’il est vrai que tu connaisses toutes les lettres ?

Il fut d’accord avec cela aussi.

— Alors, qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce toi qui n’apprends pas ce qu’on pourrait te dicter, tandis que c’est celui qui ne connaît pas ses lettres qui l’apprend ?

— Non, répondit-il, c’est plutôt moi qui apprends !

— En ce cas, tu apprends ce que tu connais, s’il est bien vrai que tu connaisses toutes tes lettres. Tu n’as donc pas correctement répondu.

PLATON, Euthydème, 275d-277b

Questions :

  • Clarifiez la structure du texte en recopiant le tableau suivant :

Quel sophiste est à l’oeuvre ?

Que répond initialement Clinias ?

Reformulez l’argument utilisé par le sophiste.

1)

2)

3)

  • Sur quel mot ambigu repose toute l’argumentation ici ? Expliquez l’ambiguïté.
  • Après avoir levé l’ambiguïté, formulez une argumentation rigoureuse afin de répondre à la question initiale.

Kant : Suffit-il de penser pour être une personne ?

Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l’homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre. Par là, il est une personne : et grâce à l’unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, c’est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer à sa guise : et ceci, même lorsqu’il ne peut pas dire Je, car il l’a dans sa pensée ; ainsi toutes les langues, lorsqu’elles parlent à la première personne, doivent penser ce Je, même si elles ne l’expriment pas par un mot particulier. Car cette faculté (de penser) est l’entendement. Il faut remarquer que l’enfant qui sait déjà parler assez correctement ne commence qu’assez tard (peut-être un an après) à dire Je ; avant, il parle de soi à la troisième personne (Charles veut manger, marcher, etc.) ; et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand il commence à dire Je ; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l’autre manière de parler. Auparavant il ne faisait que se sentir ; maintenant il se pense.

KANT, Anthropologie du point de vue pragmatique (1798), I, §1.

Questions : 

  • Expliquez cette expression : “Posséder le Je dans sa représentation”. Est-ce le cas du perroquet dans cette illustration ?
HERGÉ, Les Bijoux de la Castafiore (1963), p.19

HERGÉ, Les Bijoux de la Castafiore (1963), p.19

  • Selon le texte, peut-on qualifier le nouveau-né de “personne” ? Nuancez votre réponse.
  • Kant a-t-il raison de qualifier les autres animaux de “choses” ? Justifiez.