Si les hommes avaient le pouvoir d’organiser les circonstances de leur vie au gré de leurs intentions, ou si le hasard leur était toujours favorable, ils ne seraient pas en proie à la superstition. Mais on les voit souvent acculés à une situation si difficile, qu’ils ne savent plus quelle résolution prendre ; en outre, comme leur désir immodéré des faveurs capricieuses du sort les ballotte misérablement entre l’espoir et la crainte, ils sont en général très enclins à la crédulité. Lorsqu’ils se trouvent dans le doute, surtout concernant l’issue d’un événement qui leur tient à cœur, la moindre impulsion les entraîne tantôt d’un côté, tantôt de l’autre ; en revanche, dès qu’ils se sentent sûrs d’eux-mêmes, ils sont vantards et gonflés de vanité. (…)
D’infimes motifs suffisent à réveiller en eux soit l’espoir, soit la crainte. Si, par exemple, pendant que la frayeur les domine, un incident quelconque leur rappelle un bon ou mauvais souvenir, ils y voient le signe d’une issue heureuse ou malheureuse ; pour cette raison, et bien que l’expérience leur en ait donné cent fois le démenti, ils parlent d’un présage soit heureux, soit funeste. Enfin, si un spectacle insolite les frappe d’étonnement, ils croient être témoins d’un prodige manifestant la colère des Dieux ; dès lors, à leurs yeux d’hommes superstitieux et irréligieux, ils seraient perdus s’ils ne conjuraient le destin par des sacrifices et des vœux solennels. Ayant forgé d’innombrables fictions, ils interprètent la nature en termes extravagants, comme si elle délirait avec eux.
SPINOZA, Traité théologico-politique (1670), préface
Questions :
- Dans quel état émotionnel les croyances superstitieuses se développent-elles ? Expliquez à l’aide d’un exemple.
- Justifiez pourquoi les personnes superstitieuses s’accrochent à leurs croyances même si “l’expérience leur en donne cent fois le démenti” ?
- Pourquoi la superstition s’oppose-t-elle à la vraie croyance religieuse ? Expliquez la différence.