Socrate : Dis-moi, à ton avis, les hommes souhaitent-ils faire chaque action qu’ils font ? Ou bien, ce qu’ils veulent, n’est-ce pas plutôt le but qu’ils poursuivent en faisant telle ou telle chose ? Par exemple, quand on avale la potion prescrite par un médecin, à ton avis, désire-t-on juste ce qu’on fait, à savoir boire cette potion et en être tout indisposé ? ne veut-on pas plutôt recouvrer la santé ? n’est-ce pas pour cela qu’on boit la potion ?
Polos : Oui, ce qu’on veut, c’est la santé, évidemment.
Socrate : L’armateur, par exemple (comme n’importe quel autre négociant ou homme d’affaires), a-t-il le désir d’accomplir chaque action qu’il fait ? Non, quel est l’homme, en effet, qui accepterait volontiers de traverser les mers, d’y connaître tous les dangers et tous les ennuis de ce métier ? Non, ce que les hommes veulent avoir, à mon sens, c’est le bien pour lequel ils sont allés en mer, c’est la richesse qu’ils veulent, et c’est pour gagner cette richesse qu’ils se sont mis à naviguer.
Polos : Oui, tout à fait.
Socrate : D’ailleurs, n’est-ce pas toujours comme cela ? Quand on fait quelque chose, ce qu’on veut, est-ce la chose qu’on fait ? N’est-ce pas plutôt le but qu’on poursuit en faisant cette chose ?
Polos : Oui. (…)
Socrate : C’est donc le bien que les hommes recherchent : s’ils marchent, c’est qu’ils font de la marche à pied dans l’idée qu’ils s’en trouveront mieux ; au contraire, s’ils se reposent, c’est qu’ils pensent que le repos est mieux pour eux : n’agissent-ils pas ainsi pour en retirer un bien ?
Polos : Oui.
Socrate : Or, quand on fait mourir un homme – si vraiment cet homme doit mourir –, quand on l’exile, quand on le dépouille de ces richesses, n’agit-on pas ainsi dans l’idée qu’il est mieux pour soi de faire cela que de ne pas le faire ?
Polos : Oui, parfaitement.
Socrate : Par conséquent, les hommes qui commettent pareilles actions agissent-ils toujours ainsi pour en retirer un bien ?
Polos : Oui, je l’affirme. (…)
Socrate : Personne ne veut donc massacrer, bannir, confisquer des richesses, pour le simple plaisir d’agir ainsi ; au contraire, si de tels actes sont bénéfiques, nous voulons les accomplir, s’ils sont nuisibles, nous ne le voulons pas. Car nous voulons les bonnes choses, mais nous ne voulons pas ce qui est neutre, et encore moins ce qui est mauvais, n’est-ce pas ? Si on fait mourir un homme, si on l’exile de sa cité, si on s’empare de ses richesses – quand on agit ainsi, c’est dans l’idée que pareilles actions sont avantageuses pour celui qui les commet, mais si, en fait, elles sont nuisibles, leur auteur, malgré tout, aura fait tout ce qui lui plaît. N’est-ce pas ?
Polos : Oui.
Socrate : Tout de même, fait-il vraiment ce qu’il veut, s’il s’avère que les actes qu’il a accomplis lui-même sont mauvais pour lui ?
Polos : Eh bien non, il ne me paraît pas qu’il fasse ce qu’il veut.
Socrate : Je disais donc la vérité quand j’affirmais qu’il est possible qu’un homme, qui fait ce qui lui plaît dans la cité, n’y ait en fait presque pas de pouvoir et n’y fasse pas non plus tout ce qu’il veut.
PLATON, Gorgias 467c-468e
Questions :
- Que veut exactement le malade qui boit une potion amère ?
- Selon Platon, le tyran fait-il “ce qui lui plaît” ou “ce qu’il veut” ?
- Selon Platon, peut-on vouloir le mal pour le mal ?