Regan : Avons-nous des devoirs envers les animaux ?

Aux animaux, il est vrai, manquent beaucoup des facultés que possèdent les humains. Ils ne peuvent pas lire, s’adonner aux mathématiques supérieures, construire une étagère ni encore faire frire des beignets. C ’est aussi le cas de bien des êtres humains, et pourtant, nous ne disons pas (et ne devons pas dire) que ces humains ont ainsi moins de valeur inhérente, moins le droit d’être traité avec respect, que les autres. Ce sont les similitudes entre les êtres humains qui possèdent de la façon la plus claire une telle valeur (entre les divers lecteurs de ce texte, par exemple), et non pas leurs différences, qui sont les plus importantes. Et la similitude vraiment cruciale et fondamentale est au fond la suivante: chacun d’entre nous est le sujet d’une vie dont nous faisons l’expérience, une créature consciente possédant un bien-être individuel qui nous importe indépendamment de notre utilité pour autrui. Nous désirons et préférons des choses, nous croyons  et ressentons des choses, nous nous rappelons des choses et nous nous attendons à d’autres. Toutes ces dimensions de notre vie – y compris le plaisir et la douleur, la joie et la souffrance, la satisfaction et la frustration, la poursuite de notre existence ou notre mort prématurée – différencient nos existences respectives sous le rapport de la qualité de la vie que nous menons en tant qu’individus.

Étant donné qu’il en va de même pour les animaux dont il a été question au début de cet essai (ceux que nous mangeons, que nous piégeons, etc.), il est clair qu’eux aussi doivent être considérés comme des sujets d’une vie doués d ’une valeur inhérente, qui mènent une existence dont ils ont l’expérience. (…)

Certains diront peut-être que les animaux ont une certaine valeur inhérente, mais que celle-ci est inférieure à la notre. Là encore, on peut montrer que les tentatives pour défendre ce point de vue manquent de justification rationnelle. Sur quoi peut bien être fondée l’affirmation que nous avons plus de valeur inhérente que les animaux ? Sur leur manque de raison, d’autonomie ou d’intellect ? Nous pouvons raisonner de cette manière seulement si nous sommes prêts à raisonner de même à propos des humains qui ont les mêmes déficiences. Mais il est faux que ces humains – les enfants handicapés mentaux, par exemple, ou les aliénés – ont moins de valeur inhérente que vous ou moi. Il n’est donc pas possible non plus de soutenir rationnellement que les animaux qui leur sont comparables en tant que sujets d’une vie dont ils font l’expérience ont moins qu’eux de valeur inhérente. Tous ceux qui ont une valeur inhérente l’ont d’une manière égale, qu’ils soient des humains ou non.

Ainsi, la valeur inhérente appartient de façon égale à tous ceux qui sont les sujets d’une vie dont ils font l’expérience. Que cette valeur inhérente appartienne aussi à d’autres – aux pierres, aux rivières, aux arbres ou aux glaciers, par exemple – nous ne le savons pas et ne le saurons peut-être jamais. Mais d’un autre côté il n’est pas nécessaire de le savoir pour pouvoir défendre les droits des animaux. De même que, par exemple, il n’est pas nécessaire de savoir combien de gens ont le droit de voter aux prochaines élections présidentielles pour savoir si j’ai ce droit moi-même. Ainsi nous n’avons pas besoin de savoir combien d’individus ont une valeur inhérente pour pouvoir savoir si certains en ont une. S’agissant des droits des animaux, ce que nous devons donc savoir c’est si ceux des animaux qui dans notre culture sont, entre autres choses, quotidiennement mangés, chassés et utilisés dans les laboratoires, nous ressemblent en ce qu’ils sont les sujets d’une vie. Et nous savons cela. Nous savons pertinemment qu’un très grand nombre – littéralement des milliards et des milliards – d’animaux sont les sujets d’une vie dans le sens donné plus haut, et que donc ils ont une valeur inhérente si nous-mêmes en avons une. Et, puisque nous devons, afin d’arriver à la meilleure théorie des devoirs que nous avons les uns envers les autres, reconnaître notre égale valeur inhérente en tant qu’individus, la raison – et non les sentiments ni l’émotion – nous oblige à reconnaître à ces animaux la même valeur inhérente, et donc un droit identique au nôtre à être traités avec respect.

Tom REGAN, “Pour les droits des animaux” (1985), traduction Eric Moreau, Cahiers antispécistes, n°5, déc. 1992.

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