En mai 2020, Amélie & Lola ont écrit cette fiction narrative.
« Alors, tu la retire cette capuche ? »
Ils savent… ils savent pertinemment ce que dissimule cette capuche et puis quoi, ce n’est pas si terrible. Tentant de me rassurer je garde les poings, bien serrés, au fond de mes poches. Leurs regards assassins de plus en plus pesant, je sens monter en moi une vague de peur, de larmes ; s’ils remarquent que je pleure ce sera pire.
J’aimerai me défendre mais je n’en n’ai ni l’envie ni la force. Ils sont nombreux, bien plus nombreux que moi et même ceux qui ne font rien, ne décrochent pas un mot, contribuent à cette mise à mort. Quand enfin le plus grand d’entre eux s’approche de moi je comprends que la fin est inévitable, tout le monde va voir. Ma capuche tombe et je les regarde, je les regarde tous, certains détournent les yeux d’autres exagèrent et poussent des hurlements suraigus comme s’ils venaient de voir un monstre alors que ce ne sont que des boutons. Beaucoup de boutons il le faut avouer mais je ne les ai pas choisis. Pourquoi faut-il payer pour des fautes que nous n’avons pas commises ? J’ai envie de disparaitre, j’aimerai seulement disparaitre.
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« Grosse vache ».
Un rire collectif empli la salle de cours tandis que cette fille enfoui sa tête dans ses mains. Je n’ai rien contre elle en réalité mais elle est là et plus les autres la déteste, plus ils m’apprécient. J’ai longtemps été à sa place, il y a quelques années et le vent a tourné.
- « Je vous interdit de dénigrer votre camarade de la sorte !
- Je ne la dénigre pas madame, je constate. »
Je suis aujourd’hui à cette place qui m’a tant de fois répugnée et je comprends ; Je comprends que le petit garçon faible que j’étais ne serai jamais rien devenu, qu’il n’avait pas d’avenir alors il servi à l’ascension d’autres, plus forts, plus prometteurs. J’ai su me relever, me reconstruire et pour ça je mérite, moi aussi, une place et ni cette professeure en colère ni cette fille avec plus de graisse que de cerveau ne pourrons détruire ce que j’ai si durement obtenu. On me demande souvent pourquoi je « harcèle » certaines personnes alors que j’ai moi-même subit cette injustice, il le faut avouer, assez peu confortable, il y a quelques années ; La réponse est simple. Quand je suis passé par là personne ne m’a tendu la main et c’est grâce à cette douleur que je suis devenu celui que je suis aujourd’hui…
- « Et surtout n’oublier pas l’intervention sur le harcèlement demain à 10h30 ! »
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Le lendemain, je me dirige vers ma salle de classe, en passant, j’insulte encore une fois ma victime de ” grosse vache ” et tout le monde rit autour de moi.
J’aime la sensation que cela me procure, je me sens supérieur à elle (enfin à mes victimes plus précisément, elle n’était pas la première que je “harcelais”), au fil des années le sentiment ressenti quand je les insulte, cette supériorité, cette invincibilité, j’ai envie, besoin de la ressentir d’avantage, toujours plus, comme une drogue.
J’en étais devenu dépendant. Je voulais faire taire le collégien (ou l’enfant) que j’étais, je cherchais à renier cette partie de moi qui avait existé et qui existait sans doute toujours au plus profond de moi-même. Finalement, je suis rentré dans la salle et je me suis installé à ma place. Un homme est entré avec la professeure. Je n’ai pas oublié l’intervention sur le harcèlement simplement je m’en fichais, il n’allait rien m’apprendre de nouveau sur le sujet.
Ma professeure l’a brièvement présenté, puis il a pris la parole :
” Pour vous, qu’est-ce que c’est le harcèlement ? “
Une élève levait la main.
” C’est quand on fait en groupe des actions pour blesser une personne à répétition et c’est toujours la même personne qui est visée. ”
” Et qu’est-ce que tu entends par “actions” ?”
” C’est par exemple, insulter, frapper ou racketter la personne victime de harcèlement.”
” C’est exact.”
Il se tourna alors vers toute la classe :
“Est-ce que quelqu’un a déjà été victime de harcèlement ici ?”
Il scrutait la classe du regard. Personne ne levait la main, même pas l’autre baleine, moi qui pensais qu’elle aurait eu le courage de le faire. Il continua :
” Est-ce que vous savez pourquoi les harceleurs font ça ?”
Personne ne répondit alors il répondit lui-même à sa question :
” C’est pour se sentir bien dans leur peau…. Alors que cela ne fonctionne absolument pas. Au contraire.”
Je ricanais alors dans mon coin.
” Qu’y a-t-il de drôle dans ce que j’ai dit ?”
” Qu’est-ce qui vous fais dire qu’harceler ne fait pas du bien aux harceleurs ?”
Il détourna son regard de nouveau vers la classe :
” Vous savez, il y a un célèbre philosophe antique, que vous connaissez sans doute j’imagine car il s’agit de Socrate, qui a donné son avis sur la question : Est-il mieux de subir l’injustice que de la commettre ? Savez-vous ce qu’il a répondu ?”
Encore une fois, personne ne levait la main, moi compris, car je ne connaissais pas la réponse. Il reprit alors :
” Il a répondu que pour lui il était mieux de subir l’injustice plutôt que de la commettre car même si la victime souffre celui qui commet l’injustice souffre encore plus car il était en train de se corrompre.”
Je le regardai en souriant et dis :
“En quoi celui qui commet l’injustice se corrompt ?”
Il me regardait.
” Peut-être qu’il cherche à effacer une partie de lui ce qui expliquerait le fait qu’il se corrompt puisque cherche à renier cette partie ou cette chose en lui, plutôt que l’accepter.”
Je n’eus pas le temps de répondre que j’entendais la sonnerie retentir et ma professeure qui s’exclamait :
” Bien, n’oubliez pas le devoir que vous avez à me rendre pour la semaine prochaine et bonne fin de semaine à tous !”
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Chercher à effacer, renier une partie de soi plutôt que simplement l’accepter. Cette phrase résonne en boucle dans mon esprit.
J’ai réfléchi des dizaines de fois à la question et j’étais pourtant sûr que mes actes étaient en accord avec ma personnalité, qui je suis et qui je désire être ; mais cela fait maintenant deux jours que cette intervention à eu lieu et pas moyen de passer à autre chose. Où est passé le moi craintif, rabaissé, blessé par la vie ? Peut être est-il encore là, quelque part, à l’intérieur de moi ?
Peut être essaye t-il de sortir, de me transmettre un message à travers cette réflexion incessante et épuisante ? Ai-je raison de faire tout ce que je suis en train de faire ? Ma place dans ce monde est elle seulement accessible par l’accablement des plus faibles ? Remettre ainsi en question toutes mes certitudes et mes acquis est terrifiant et je dois à tout pris repousser cette soudaine prise de conscience si je veux conserver la vie confortable dans laquelle je m’inscris aujourd’hui.
Je ramasse mon sac a dos et, bien décider à retrouver et ma classe et ma vie, je place délicatement mon pied devant cette grosse fille qui s’étale de tout son long au milieu du couloir et des rires, aller, la vie reprend !
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– « Tu ne vas pas en cours aujourd’hui ?
– Non, je me sens mal, je vais rester à la maison.
– A ce soir mon chéri. »
La porte d’entrée claque et je me retrouve seul dans cette grande maison. Je ne suis pas malade, du moins pas physiquement. J’ai tout essayé, la violence verbale, physique, sur les réseaux sociaux, rien n’y fait, je me sens toujours aussi mal. Des questions s’imposent à mon esprit et incapable d’y répondre, je sens qu’elles commencent à me détruire de l’intérieur.
Je décide alors de me lever et me place face à mon miroir. Je regarde mon visage aujourd’hui harmonieux duquel les boutons ont tous disparut, puis mon corps, plus grand, plus puissant qu’à l’époque, je ne me reconnais pas.
Ce garçon, là, dans le miroir, celui que j’ai créé, monté de toute pièce, ne me ressemble que très peu et pourtant je sais qu’il s’agit de moi. J’ouvre un tiroir de mon bureau et en sort une photo, une vieille photo de l’époque où j’étais de l’autre côté, dans l’autre camps, avec ceux que je méprise aujourd’hui. Fermant les yeux je me concentre sur la douleur que je pouvais ressentir face à tout ces visages, ces rires, ces sourires, ces regard moqueurs et c’est là que je comprends. Je comprends que ce que je subissais était terrible, que jamais quelqu’un ne devrait avoir à subir ça puis je constate que ce souvenir de la douleur passée est bien moins important que la douleur que je ressens aujourd’hui au vue de tous ces questionnement. Ma condition ne me convient pas, du moins elle ne me convient plus car nous ne pouvons-nous complaire dans une situation de souffrance, je dois changer, évoluer, grandir, encore…
Peut-être Socrate avait-il raison ?
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C’est décidé. J’allais changer, grandir, évoluer. Devenir une meilleure version de moi-même en acceptant et en vivant avec ce que je souhaitais renier, cet enfant fragile et victime des moqueries de ses camarades de classe. Il fallait que j’arrête ce que je faisais avant, insulter, frapper et dénigrer cette pauvre fille juste parce qu’elle était différente n’était pas la solution à mon problème…
Au contraire ça ne faisait que l’aggraver. J’ai donc pris mes affaires et je suis parti au lycée bien décidé à faire le bien autour de moi. Concernant ceux qui me suivaient, je m’en fiche s’ils n’acceptent pas mon changement et qu’ils continuent à la harceler. Je serais là pour la protéger et prendre sa défense.
Finalement, Socrate avait raison. En essayant de renier ce que j’étais je ne faisais que me corrompre et la douleur que j’ai ressentie était plus forte que celle que cette fille ressentait par ma faute.
En me posant la question, commettre cette injustice fut bien plus douloureux pour moi que de la subir.