Hobbes : La nature est-elle juste ?

Il est manifeste que pendant ce temps où les humains vivent sans qu’une puissance commune ne leur impose à tous un respect mêlé d’effroi, leur condition est ce qu’on appelle la guerre ; et celle-ci est telle qu’elle est une guerre de chacun contre chacun. (…)

Il peut paraître étrange à celui qui n’a pas bien pesé les choses, que la nature dissocie ainsi les humains en les rendant capables de s’attaquer et de s’entre-tuer les uns les autres (…). Pourtant, les désirs et les autres passions humaines ne sont pas en eux-mêmes des péchés. Pas plus que ne le sont les actions engendrées par les passions, pour autant qu’il n’y a pas de loi faisant savoir qu’il est interdit de les accomplir. Tant que les lois n’ont pas été faites, on ne peut les connaître, et aucune loi ne peut être faite tant qu’on ne s’est pas mis d’accord sur la personne qui la fera. (…)

Ceci est aussi une conséquence de cette guerre de chacun contre chacun : que rien ne peut être injuste. Les notions du bon ou du mauvais, du juste et de l’injuste n’ont pas leur place ici. Là où n’existe aucune puissance commune, il n’y a pas de loi ; là où il n’y a pas de loi, rien n’est injuste. En temps de guerre, la force et la tromperie sont les deux vertus cardinales. (…). C’est aussi une conséquence de ce même état qu’il n’y a ni propriété, ni pouvoir, ni distinction du tien et du mien, et que ce qui peut appartenir à chacun, c’est ce qu’il peut obtenir et conserver aussi longtemps qu’il le pourra.

Thomas HOBBES, Léviathan (1651), chapitre 13

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.