Rousseau : Peut-on volontairement devenir esclave ?

Dire qu’un homme se donne gratuitement, c’est dire une chose absurde et inconcevable ; un tel acte est illégitime et nul, par cela seul que celui qui le fait n’est pas dans son bon sens. Dire la même chose de tout un peuple, c’est supposer un peuple de fous : la folie ne fait pas droit.

Quand chacun pourrait s’aliéner lui-même, il ne peut aliéner ses enfants ; ils naissent hommes et libres ; leur liberté leur appartient, nul n’a droit d’en disposer qu’eux.                Avant qu’ils soient en âge de raison le père peut en leur nom stipuler des conditions pour leur conservation, pour leur bien-être ; mais non les donner irrévocablement et sans condition ; car un tel don est contraire aux fins de la nature et passe les droits de la paternité. Il faudrait donc pour qu’un gouvernement arbitraire fut légitime qu’à chaque génération le peuple fût le maître de l’admettre ou de le rejeter : mais alors ce gouvernement ne serait plus arbitraire.

Renoncer à sa liberté c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme, et c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté. Enfin c’est une convention vaine et contradictoire de stipuler d’une part une autorité absolue et de l’autre une obéissance sans bornes. N’est-il pas clair qu’on n’est engagé à rien envers celui dont on a droit de tout exiger, et cette seule condition, sans équivalent, sans échange n’entraîne-t-elle pas la nullité de l’acte ? Car quel droit mon esclave aurait-il contre moi, puisque tout ce qu’il a m’appartient, et que son droit étant le mien, ce droit de moi contre moi-même est un mot qui n’a aucun sens ?

ROUSSEAU, Du Contrat social (1762), I, chapitre 4 “De l’esclavage” §§4-6

Questions :

  1. Quel argument juridique Rousseau emploie-t-il au sujet de la folie dans le 1er paragraphe ? Expliquez.

  2. D’après le 2e paragraphe, les parents sont-ils responsables de la vie et de la liberté de leurs enfants ? Expliquez.
  3. Expliquez : « c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à leur volonté » (à l’aide d’un exemple).

  4. Quelle critique Rousseau adresse-t-il au contrat maître / esclave ?

Une explication orale proposée par Margaux, Kendra et Camille (TL, 2017) :

Une autre explication orale proposée par Paloma, Morgane & Yanis (TL, 2018) :

 

Pour approfondir :

Rousseau : Le droit peut-il être fondé sur la force ?

Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force  en droit et l’obéissance en devoir. De là le droit du plus fort ; droit pris ironiquement en apparence, et réellement établi en principe : Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot ? La force est une puissance physique ; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté ; c’est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ?

Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu’il n’en résulte qu’un galimatias inexplicable. Car sitôt que c’est la force qui fait le droit, l’effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu’on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s’agit que de faire en sorte  qu’on soit le plus fort. Or qu’est-ce qu’un droit qui périt quand la force cesse ? S’il faut obéir par force on n’a pas besoin d’obéir par devoir, et si l’on n’est plus forcé d’obéir on n’y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n’ajoute rien à la force ; il ne signifie ici rien du tout.

Obéissez aux puissances*. Si cela veut dire, cédez à la force, le précepte est bon, mais superflu, je réponds qu’il ne sera jamais violé. Toute puissance vient de Dieu, je l’avoue ; mais toute maladie en vient aussi. Est-ce à dire qu’il soit défendu d’appeler le médecin ?   Qu’un brigand me surprenne au coin d’un bois : non seulement il faut par force donner la bourse, mais quand je pourrais la soustraire suis-je en conscience obligé de la donner ?  car enfin le pistolet qu’il tient est aussi une puissance.

Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu’on n’est obligé d’obéir qu’aux puissances légitimes.

ROUSSEAU, Du Contrat social (1762), I, chapitre 3 “Du droit du plus fort”

* “obéissez aux puissances” : Rousseau cite ici Paul dans la Bible :

“Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi”

Paul, Epître aux Romains, 13:1

Le texte lu :

Questions :

  1. Quel problème Rousseau pose-t-il à propos de l’expression « droit du plus fort » ? Expliquez.

  2. Quel type de raisonnement Rousseau utilise-t-il dans le 2e paragraphe ? Reconstituez-le.

  3. Un coup d’Etat est-il légal ? est-il légitime ? Justifiez.

  4. Rousseau veut-il justifier cette phrase « obéissez aux puissances » ? Expliquez.

Une explication orale proposée par Kévin et Guillaume (TL, février 2017) :

Une autre explication orale proposée par Emma, Bénédicte, Emilie & Hugo (TL, 2018) :

Troisième partie

Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu’il n’en résulte qu’un galimatias inexplicable. Car sitôt que c’est la force qui fait le droit, l’effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu’on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s’agit que de faire en sorte  qu’on soit le plus fort. Or qu’est-ce qu’un droit qui périt quand la force cesse ? S’il faut obéir par force on n’a pas besoin d’obéir par devoir, et si l’on n’est plus forcé d’obéir on n’y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n’ajoute rien à la force ; il ne signifie ici rien du tout.

Quatrième partie

Obéissez aux puissances. Si cela veut dire, cédez à la force, le précepte est bon, mais superflu, je réponds qu’il ne sera jamais violé. Toute puissance vient de Dieu, je l’avoue ; mais toute maladie en vient aussi. Est-ce à dire qu’il soit défendu d’appeler le médecin ?

Cinquième partie

Qu’un brigand me surprenne au coin d’un bois : non seulement il faut par force donner la bourse, mais quand je pourrais la soustraire suis-je en conscience obligé de la donner ?  car enfin le pistolet qu’il tient est aussi une puissance.

Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu’on n’est obligé d’obéir qu’aux puissances légitimes.

SYNTHÈSE

Après avoir répondu à toutes ces questions, rédigez une synthèse du texte :

  • Quelle idée reçue Rousseau remet-il en question dans ce texte ?
  • Formulez la question que se pose Rousseau dans ce texte
  • Formulez la thèse que soutient Rousseau
  • Proposez un découpage du texte en plusieurs moments
  • Quelle objection pourrait-on adresser à Rousseau ?

 

Rousseau : La famille est-elle la société idéale ?

La plus ancienne de toutes les sociétés et la seule naturelle est celle de la famille. Encore les enfants ne restent-ils liés au père qu’aussi longtemps qu’ils ont besoin de lui pour se conserver. Sitôt que ce besoin cesse, le lien naturel se dissout. Les enfants, exempts de l’obéissance qu’ils devaient au père, le père exempt des soins qu’il devait aux enfants, rentrent tous également dans l’indépendance. S’ils continuent de rester unis ce n’est plus naturellement, c’est volontairement, et la famille elle-même ne se maintient que par convention.

Cette liberté commune est une conséquence de la nature de l’homme. Sa première loi est de veiller à sa propre conservation, ses premiers soins sont ceux qu’il se doit à lui-même, et, sitôt qu’il est en âge de raison, lui seul étant juge des moyens propres à se conserver devient par là son propre maître.

La famille est donc si l’on veut le premier modèle des sociétés politiques ; le chef est l’image du père, le peuple est l’image des enfants, et tous étant nés égaux et libres n’aliènent leur liberté que pour leur utilité. Toute la différence est que dans la famille l’amour du père pour ses enfants le paye des soins qu’il leur rend, et que dans l’Etat le plaisir de commander supplée à cet amour que le chef n’a pas pour ses peuples.

ROUSSEAU, Du Contrat social (1762), I, chapitre 2 “Des premières sociétés”

Questions : 

  1. La famille est-elle toujours une société naturelle ? Expliquez.

  2. Les enfants peuvent-ils être maîtres d’eux-mêmes ? Expliquez.

  3. Quel type de raisonnement Rousseau utilise-t-il ici ? Quelles en sont les limites ? Expliquez pourquoi Rousseau emploie l’expression « si l’on veut ».

Une explication orale proposée par Luana, Eloïse, Elisa et Kerene (février 2017) :

Une autre explication orale proposée par Orlanne, Ivo, Claire et Lea (TL, 2018) :