Hume : Pouvons-nous croire tout ce qui nous plaît ?

Il suit donc que la différence entre la fiction et la croyance se trouve dans quelque sentiment annexé  à celle-ci et non à celle-là, qui ne dépend pas de la volonté et ne peut se commander par plaisir. Il faut que  la nature l’éveille comme tous les autres sentiments ; il faut qu’il naisse de la situation particulière où l’esprit se trouve placé en chaque conjoncture particulière. (…) L’imagination peut concevoir des objets fictifs avec toutes les circonstances de temps et de lieu. Elle peut les placer, en quelque sorte, sous nos yeux, dans leurs couleurs véritables, exactement comme ils auraient pu exister. Mais comme il est impossible que cette faculté d’imagination puisse jamais d’elle-même atteindre la croyance, évidemment la croyance consiste non pas dans la nature particulière ou dans l’ordre des idées, mais dans la manière de les concevoir et dans le sentiment qu’en a l’esprit.  En quoi consiste la différence qu’il y a entre une fiction  et la croyance ? Elle ne se trouve pas uniquement     dans une idée particulière annexée à toute conception,    qui commande notre assentiment et qui fait défaut  à toute fiction reconnue. Car puisque l’esprit a autorité sur toutes ses idées, il pourrait annexer volontairement cette idée particulière à n’importe quelle fiction et, par suite, il serait capable de croire tout ce qui lui plaît, contrairement à ce que nous trouvons dans l’expérience quotidienne. Nous pouvons, quand nous concevons, joindre une tête humaine à un corps de cheval ; mais il n’est pas en notre pouvoir de croire qu’un tel animal ait jamais existé.

La croyance, c’est quelque chose de senti par l’esprit qui distingue les idées du jugement des fictions de l’imagination. Cela leur donne plus de poids et d’influence ; les fait paraître de plus grande importance ; les renforce dans l’esprit et en fait le principe directeur de nos actions. (…) Ces idées s’emparent plus fermement de mon esprit que les idées d’un manoir enchanté.

David HUME, Enquête sur l’entendement humain (1748), V, 2, pp.110-113

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